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Ne te coupe pas la parole toi-même !" fait remarquer en souriant Louis Velle à Frédérique Hébrard.
Frédérique et Louis, c'est une conversation ininterrompue depuis plus d'un demi-siècle. Des digressions dans le récit tant la pensée est rapide et le ton animé. Ils ont envie de partager leur enthousiasme. Elle sans lui et lui sans elle, cela ne se peut pas. Il y aura 63 ans au mois de septembre qu'ils sont mariés :
- "Ce seront les noces de lilas. Une fois qu'on a fait les noces d'or, on croit qu'on a fait le tour, eh bien, pas du tout."
La vie est parfois cruelle, mais ils surmontent tout par une exquise politesse soutenue par leur amour et leur humour. Ce serait d'ailleurs très mal élevé que de ne pas en avoir lorsqu'on est à leur table.
On devrait mettre plus de grands-pères à l'écran
Louis Velle vient de fêter la semaine dernière ses 86 ans dans un éclat de rire et de jeunesse.
Habitué aux succès de télévision (La demoiselle d'Avignon, Le mari de l'ambassadeur), il est très excité à l'idée de tourner, peut-être, une suite du Château des oliviers, cette saga de France 2 qui avait dépassé TF1 en audience durant l'été 1993.
Il fut avant ces années-là un jeune premier au cinéma ayant pour partenaire Michel Simon, Gérard Philipe et Maurice Chevalier.
Au théâtre, celles qu'il prenait dans ses bras avaient pour nom Sophie Desmarets ou Jacqueline Gauthier. Il regarde tout cela avec amusement :
- "Autrefois, j'avais la chance de partir à la fin avec la jeune personne. Vingt ans après, on est venu me demander la main de ma fille, maintenant, c'est la main de ma petite-fille. On devrait mettre plus de grands-pères à l'écran."
Fille d'André Chamson, la France entière s'arrache ses livres
Lorsqu'il parle, Frédérique le regarde avec tendresse. Elle a fêté ses 85 ans le 7 juin. Ils incarnent l'équilibre et l'harmonie du couple et, à l'époque des familles recomposées, ils finiront par être révolutionnaires sur ce terrain-là. La protestante et le catholique. Elle en a fait un livre. La rencontre d'une jeune Cévenole protestante et d'un jeune catholique encore attaché à la tradition. Entre eux, c'est une approche plus intime du sentiment religieux. Frédérique a été baptisée il y a 12 ans, prenant sa fille comme marraine et son petit-fils comme parrain. À son cou, elle porte tous les symboles des religions. Un oecuménisme qui remonte à l'enfance, la Résistance et les enfants cachés :
"Mon coeur est ouvert à tous ceux qui n'ont pas la même religion, ou pas de religion du tout, mais qui aiment leur prochain."
Elle a mis tout cela dans ses romans par humanisme. Aujourd'hui, elle sillonne les salons du livre pour son dernier-né Divina (Plon). Elle va à la rencontre de ses lecteurs fidèles. En digne héritière de son père André Chamson, conservateur de musée et académicien, elle aime raconter des histoires modernes en convoquant le passé. Si dans tous ses livres il y a des fouilles, ce n'est pas un hasard, son arrière-grand-père était spéléologue et archéologue. Elle vit ses expéditions littéraires à travers la France comme si elle participait à une joyeuse colonie de vacances, à une tournée au temps de l'Illustre Théatre.
Leur rencontre remonte à 1949 !
Louis est curieux de ce qu'elle dit :
"Je n'ai toujours eu qu'une envie, c'était de rentrer chez moi pour qu'elle me raconte ce qu'elle avait fait, autour d'une bonne bouteille."
"Alors, raconte !" comme aux premiers jours de leur rencontre au Conservatoire national d'art dramatique en 1949. Louis Velle écrivait aussi, il avait une vingtaine d'années. Un roman intitulé "Ma petite femme" lui valut le prix de l'humour Alphonse Allais en 1954. Un titre prémonitoire. Au cinéma, ils furent aussi mari et femme dans Un mari, c'est un mari.
On va de surprise en surprise en les écoutant parler tous les deux. Il faut entendre Frédérique raconter comment, petite fille, elle confectionnait des gâteaux pour André Gide, ou pourquoi elle coucha avec la Joconde lors du transfert des chefs-d'oeuvre du Louvre vers le château de Chambord avant l'arrivée des Allemands en juin 1940. Son père était chargé de cette haute mission de résistance. Avoir vécu l'histoire d'aussi près laisse des traces.
Il y a chez Louis aussi des côtés inattendus. Le saltimbanque est depuis longtemps "un homme d'argent". Il gère les intérêts de la SACD (la Société des auteurs et compositeurs dramatiques), puisqu'il est aussi auteur de théâtre. Il ne spécule pas et ne joue pas avec les intérêts de ses pairs. Il investit et fait fructifier un patrimoine.
Lorsqu'on lui demande comment il a commencé, il répond avec ironie : "Grâce aux communistes et à leur banque commerciale de l'Europe du Nord."
En pleine tempête boursière à la fin des années 80, il clamait avec optimisme dans un livre : "Triomphez en Bourse, malgré les temps difficiles." Un titre en forme de clin d'oeil à Édouard Bourdet pour qu'on n'oublie pas qu'il est avant tout un homme de lettres.
Ses conseils pour un capitalisme à visage humain feraient bien d'être suivis encore aujourd'hui.
Ils habitent une maison nommée le "Coin perdu"
Cet univers de culture où la transmission est une obligation ne se fait pas sans un brin de folie. Cela peut paraître simple, un peu gentil, mais c'est le sens de toute leur vie, une éthique.
Dans leur "Coin perdu", c'est le nom de leur maison dans les Yvelines, ils incarnent une certaine idée du bonheur au milieu des arbres et des oiseaux. Ces idoles préfèrent assurément l'aurore au crépuscule.
La tête pleine de projets, ils s'écrient en choeur : "C'est déjà demain !"